Sélection d'articles sur le harcèlement moral



Sélection d'articles sur le harcèlement moral


Année 2011

- Le Canard Enchainé ( 18/05/2011 )
Séismes et tsunamis ne sont pas les seuls phénomènes redoutables pour les centrales nucléaires. Le harcèlement moral peut nuire gravement à leur sécurité. Accusé « d’agissements répétés susceptibles d’altérer la santé physique et mentale » de plusieurs de ses salariés et de « dégrader leurs conditions de travail »Jean-Paul Joly, ancien patron de la centrale de Chooz (Ardennes), vient de recevoir du parquet une invitation à comparaître devant le tribunal de Charleville-Mézières le 8septembre prochain.
Face à lui, sept employés travaillant dans divers services qui disent avoir, entre 2005 et 2008, subi un calvaire. Parmi les joyeusetés relevées par la justice : des humiliations publiques, des mises au placard, jusqu’à les priver de toute mission, la suppression soudaine de leu téléphone et de leur ordinateur, le déménagement de leur bureau pendant un arrêt maladie, des blocages de carrière, des « erreurs » toujours défavorables sur la fiche de paie, etc.
La médecine du travail évoquait, en 2007, un « malaise général » à la centrale. Tandis que l’inspection du travail, qui a signalé ces faits en mai 2008, « constate, après enquête, une situation qui pourrait s’assimiler à du harcèlement moral et s’avère préoccupante ».
« Des salariés dépressifs, à la vie privée ravagée, au comportement suicidaire, ce n’est jamais une bonne chose, souligne Loïc Scoarnec, qui dirige l’association Harcèlement Moral Stop (HMS). Mais dans une usine atomique, les conséquences peuvent être plus graves que dans une fabrique de caramels ».
Et de rappeler quelques affaires antérieures, dont celle de Chinon, où au moins quatre salariés se sont suicidés entre 2004 et 2007.
Un rapport du médecin du travail indiquait que la moitié du service de maintenance se trouvait en « souffrance professionnelle ».
En 1997, un sous-traitant avait quant à lui, mis fin à ses jours dans l’enceinte même de la centrale du Tricastin. Parmi les milliards qu’EDF va consacrer au renforcement de la sécurité de ses réacteurs, quelques miettes pourraient peut être aller à la prévention des risques de courts- circuits humains…
Par Jean- François JULLIARD

Année 2009

- liaisons sociales ( 11/2009 )
Avec la crise, revoilà le harcèlement (par Sandrine FOULON)
Toutes les strates concernées.
Pas de doute. Pour Harcèlement Moral Stop, la récession a un effet catalyseur sur le harcèlement.
L’association en veut pour preuve les 2 000 signalements recueillis entre le 1er mai 2009 et le1er septembre 2009 sur la foi d’un questionnaire détaillé rempli par la victime présumée d’un harcèlement, afin de démêler les véritables cas de ceux qui relèvent d’un conflit du travail banal entre salarié et employeur.
« Désormais, un tiers de ces signalements sont émis par des hommes, alors qu’ils étaient à peine 20% à nous contacter en 1999. Mais la crise aidant, ils sont plus nombreux à se manifester. Toutes les strates hiérarchiques et tous les secteurs sont touchés », constate Loïc SOCARNEC, ancien délégué syndical CFDT dans la banque, qui a fondé l’association après avoir été lui-même victime de harcèlement.
Ainsi, la catégorie cadres a bondi de 7 points pour atteindre 19% contre 58% d’employés et 23% d’agents de maîtrise. Et si cette enquête dénote une forte poussée du privé (78% des cas), le rapport entre l’ancienneté des salariés et le harcèlement est révélateur, selon Loïc SCOARNEC :« 34% des victimes de harcèlement ont moins de deux ans d’ancienneté, 23% de deux à cinq ans…et seulement 10% plus de vingt ans. Quant à la durée du harcèlement, elle est également significative : 79% des salariés qui nous contactent se déclarent harcelés depuis moins de deux ans. Plus des deux tiers dénoncent un durcissement de leur situation depuis huit à douze mois. Il y aura toujours des pervers, des paranoïaques et des narcissiques. Mais avec la crise le harcèlement stratégique prend de l’ampleur. Pousser un salarié à la démission, voire à conclure une rupture conventionnelle, ou multiplier les mises à pied conservatoires sont un excellent moyen de retarder et même de contourner un PSE ».
Spécialiste du harcèlement, l’avocate parisienne Karine MARTIN, qui travaille avec l’association, confie avoir passé un été infernal. « Avec les dernières vagues de licenciements, j’ai vu arriver des dossiers touchant plus particulièrement des seniors, des hauts salaires, mais aussi des femmes seules et des personnes plus fragiles. Dans certaines grandes entreprises, le phénomène devient institutionnel ».


Closer #227 (23/10/2009)
C'est mon histoire...
Anne, 58 ans : « harcelée au travail, je me demande si je dois tenir le coup ou lâcher prise »
Après trente sept ans de bons et loyaux services en tant qu’infirmière, mon directeur m’a convoquée sans motif pour m’annoncer que j’étais mutée à la gestion des matelas de l’hôpital !
On m’envoyait direct au placard et on me présentait ce poste fictif comme une « fonction d’avenir » !
En réalité, c’est mon chef de service qui était visé mais comme on ne pouvait pas le faire tomber lui, c’est moi qu’on a attaquée.
Le directeur l’a avoué lui-même, je fais les frais d’une rivalité entre médecins.
« Je passe ma journée seule dans un bureau sans que personne ne me parle »
Le plus dur à supporter, c’est l’indifférence de mes collègues qui ne m’ont jamais manifesté de soutien. Et celle de la hiérarchie et des autorités, parfaitement conscients de l’injustice de ma situation, mais qui préfèrent protéger l’honneur du directeur plutôt que le mien. J’ai refusé cette mutation et je me suis tournée vers le tribunal administratif qui a reconnu que cette décision était absurde. J’ai été réintégrée dans ma fonction après quatre ans d’arrêt maladie mais l’enfer continue. L’hôpital a accepté mon retour mais a exigé que je ne gère plus que des dossiers. Mon ancien chef de service, qui appréciait mon travail, m’a permis d’exercer comme avant. Mais il est mort cet été et depuis je suis mise au placard. Je passe ma journée seul dans un bureau sans que personne ne me parle. On ne me salue pas. Quand une réunion a lieu, on me laisse derrière la porte. C’est comme si je n’existais pas. Je vis un cauchemar permanent. Je me demande si je vais tenir. Et surtout s’il ne vaudrait pas mieux que je lâche prise. Je ne veux pas que ceux qui ont brisé ma carrière me « suicident » et je ne veux pas leur faire le plaisir de partir. J’essaie de rester positive mais je suis impuissante. Je ne vois pas comment les choses pourraient s’améliorer et je n’ai personne vers qui me tourner à l’hôpital.
Moi qui aimais tant mon travail, je vis cela comme un terrible échec.
L’avis de l’expert Loïc SCOARNEC, président de l’association Harcèlement Moral Stop « Le harcèlement est insidieux, il faut tout faire pour le rendre visible »
Déstabilisé, mis volontairement en situation d’échec, le harcelé a tendance à se replier sur lui-même. Il est pourtant essentiel de ne pas rester seul.
Le harcèlement est insidieux, il faut œuvrer à le rendre visible et concret. Tenez un historique de votre situation, sans accuser personne, faites un simple constat des faits et envoyez-le à votre PDG et à l’inspection du travail. Vous pouvez aussi demander à un délégué du personnel qu’il fasse usage de son droit d’alerte. Ou contacter un syndicat ou un avocat spécialisé. Sans oublier les associations. Le tout est de trouver une oreille attentive. Parler pour ne plus cultiver un sentiment de honte.
Avec la crise, le harcèlement explose. C’est souvent une façon pour les entreprises de licencier à coût zéro.

Paris Match (16/9/2009)
Le harcèlement moral dopé par la crise (Par Daphné MONGIBEAUX et Luc IHADDAGENE)

« Plus personne n’est à l’abri, pas même en haut de l’échelle » Loïc SCOARNEC, président de Harcèlement Moral Stop
« Chaque matin, je montais sur l’échafaud. L’hostilité muette de mes supérieurs avait fait de mon bureau un désert inhospitalier, un champ de mines ; A bout de nerfs, j’attendais le coup fatal qui mettrait fin à mon calvaire. En réalité, mon exécution avait été programmée depuis des mois sans qu’on m’en informe. C’était à moi de le deviner, ou plutôt de l’accepter ».
Depuis le début de la crise économique, les témoignages alarmants se multiplient.
Selon Loïc SCOARNEC : « il n’est pas rare que des cadres supérieurs, voire des membres d’équipes de direction, fassent appel à nous ».
Petites attaques répétées, intimidations, dévalorisations, mise au placard, calomnies…
Déstabiliser un salarié jusqu’à l’écoeurement est un moyen presque banal de provoquer sa démission ou un arrêt maladie de longue durée susceptible de justifier un licenciement avantageux.
« C’est de la folie ; le téléphone n’arrête pas de sonner ! » s’exclame Loïc SCOARNEC, président de Harcèlement Moral Stop (HMS). Cette association dédiée à l’assistance aux victimes de maltraitance professionnelle a vu son activité augmenter de plus de 40%. En une année, 3 300 cas lui ont été signalés, contre 1 995 l’année précédente.« Tous les secteurs d’activité sont maintenant concernés. Au départ, le harcèlement s’était intensifié de manière inquiétante dans les branches touchées de plein fouet par la crise : banque, immobilier, BTP, automobile, ingénierie informatique… Au printemps dernier, des salariées du tourisme, de la boulangerie, de la coiffure mais aussi des associatifs et des fonctionnaires ont commencé à nous appeler ».
Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas forcément les personnalités les plus vulnérables ou les plus faibles qui sont le plus directement visées. Le professionnel expérimenté, le délégué syndical, la forte tête habituée à « l’ouvrir » sont aussi des cibles privilégiées. L’isolement, la marginalisation, le dénigrement systématique parviennent à faire plier les plus résistants. Les seniors, dont l’ancienneté coûte cher aux entreprises, sont en première ligne. « Aujourd’hui, plus personne n’est à l’abri, pas même en haut de l’échelle. Il n’est pas rare que des cadres supérieurs, voire des membres d’équipes de direction, fassent appel à nous », précise Loïc SOCARNEC.

Année 2008
 Maxi #1133 (20/07/2008)
Débat : Une de vos collègues est victime de harcèlement ? Voici comment l’aider sans vous mettre en danger !

Que faire quand une de vos collègues subit les brimades du reste de l’équipe ou de son chef  ? Comment pouvez-vous la soutenir sans vous mettre vous-même en danger ?
Votre patron est sans arrêt sur le dos dune de vos collègues ? Il lui fait des remarques blessantes, il la rabaisse devant vous ? Au travail, le plus souvent, le harcèlement est le fait d’un supérieur hiérarchique. Mais cela se produit aussi entre collègues ! Ainsi, peut-être avez-vous remarqué que des membres de votre équipe ridiculisent toujours la même personne. Il est alors difficile de savoir comment réagir. Moralement, on sait que la situation est injuste, qu’il faudrait réagir, alerter les autres employés, montrer qu’on n’est pas d’accord, avertir la direction pour arrêter le harcèlement. Mais, par peur de perdre son emploi, par crainte de représailles ou juste pour ne pas se mettre les collègues à dos, beaucoup préfèrent se taire et ne rien faire.
La loi pourtant, nous impose de signaler ce type de pratique, sous peine d’être poursuivi pour non-assistance à personne en danger ou pire, d’être jugé comme complice.
Encore faut-il savoir quoi faire et à qui s’adresser ! Vous pouvez d’abord demander à votre direction de convoquer le ou les harceleurs. Si rien n’est fait ou si c’est insuffisant, vous pouvez faire appel à un médiateur, qui tentera de trouver une solution et, en dernier recours, vous pouvez porter plainte pour le(s) bourreau(x) soi(en)t condamné(s). C’est à chacun de vois en fonction de sa situation.
Annie, 58 ans, ancienne commerciale : « J’ai été abandonnée par mes collègues »
Il y a trois ans, une nouvelle responsable est arrivée au bureau et travailler est devenu un enfer. Dès les premiers jours, elle a surveillé mes moindres faits et gestes : si j’arrivais à l’heure, si je ne déjeunais pas trop longtemps... Elle m’a aussi supprimé la voiture de fonction et le portable que j’utilisais pour démarcher mes clients, sous prétexte de difficultés budgétaires. Mon travail se réduisait à passer des coups de fil aux clients depuis le bureau, je n’allais plus sur le terrain…
Rien à voir avec ce que je faisais avant !
Pire, elle a commencé à m’humilier, à multiplier les remarques blessantes : Vous n’êtes bonne à rien ; Vous êtes vraiment une piètre commerciale ; etc. Et ce, aussi bien devant mon chef que mes deux collègues.
Pourtant, personne n’a jamais réagi. J’ai bien tenté d’en parler avec mon chef, mais il a dit n’avoir rien remarqué. Même refrain de mes deux collègues. On travaillait pourtant dans le même bureau : elles avaient forcément entendu la responsable. Mais elles disaient que la nouvelle chef plaisantait. Selon elles, je ne savais pas rire, j’avais mauvais caractère ! Puis, pour obéir à la responsable, elles ne m’ont plus adressé la parole. J’étais devenue une pestiférée ! Je comprenais d’autant moins que nous avions de bonnes relations ! On déjeunait ensemble, on parlait de nos enfants, etc. C’était très dur à supporter. J’étais non seulement victime de harcèlement, mais aussi abandonnée par mes collègues, alors que j’avais tant besoin de leur soutien ! Si elles étaient intervenues ou avaient confirmé mes dires, tout se serait arrêté. Au lieu de ça, j’ai commencé à perdre confiance en moi, à douter de mes capacités, bref à croire tout ce que ma responsable disait !
Le matin, j’allais au travail la peur au ventre, me demandant quelles brimades j’allais encore encaisser.
J’ai craqué deux mois plus tard, lors de la visite à la médecine du travail. J’ai éclaté en sanglots. Le médecin m’a recommandé d’en parler à un inspecteur du travail et de prendre un avocat. Ceux-ci m’ont conseillé de noter tous les faits, tous les mots blessants de ma responsable, pour apporter des preuves et porter plainte. Leur soutien, celui de ma fille et de quelques amis m’a permis de reprendre confiance en moi.
Je me suis battue et la justice a condamné ma responsable à deux mois de prison avec sursis et une amende de 3 000 euros.
Martine, 42 ans, responsable administratif : « Je l’ai soutenue, j’ai témoigné pour elle ! »
En début d’année, je me suis aperçue qu’une de mes collègues n’allait pas bien. Elle enchaînait les congés maladie, semblait abattue, elle si joyeuse auparavant.
Et, comme nous ne travaillons pas dans le même service, difficile de savoir pourquoi ! J’ai donc tenté de me rapprocher d’elle, en l’invitant à déjeuner, à prendre un café.
Peu à peu, elle s’est confiée : son chef la harcelait. Il lui envoyait chaque jour une centaine de messages à caractère sexuel sur son portable, l’appelait le soir chez elle... Rien que l’idée qu’il l’attende un soir à la sortie du travail et l’agresse sexuellement la terrifiait !
Je lui ai dit qu’elle pouvait compter sur moi, que j’allais la soutenir ! Je pensais que si j’étais à ses côtés, elle serait plus forte pour entamer des démarches. Car j’avais lu des articles sur le sujet, je savais qu’elle pouvait porter plainte. Elle hésitait, elle avait peur qu’on ne la croit pas et de perdre son travail. Je lui ai alors proposé d’aller moi-même discuter avec cet homme pour qu’il cesse de la harceler. Elle trouvait cela risqué. Mais je ne pouvais pas le laisser continuer, jusqu’ou aurait il été ? Hélais, cela n’a servi à rien. L’homme m’a ri au nez. Selon lui, elle avait tout inventé ! Une semaine plus tard, il recommençait ! Ma collègue était à bout...
Devant sa détresse, j’ai décidé d’avertir la hiérarchie pour qu’elle convoque cet homme. J’ai demandé un entretien au directeur. Je lui ai expliqué la situation, en lui faisant écouter les messages enregistrés sur le téléphone portable de ma collègue. Le lendemain, il convoquait le chef pour le sanctionner.
De mon côté, je savais qu’il pouvait être condamné en justice. Pour cela, ma collègue devait porter plainte. Déterminée, j’ai finalement réussi à la convaincre : je l’ai accompagnée à la gendarmerie pour porter plainte. Chacune de notre côté, nous avons fait une déposition. L’enquête est en cours, le procès aura lieu à la rentrée. Comme je l’ai promis à ma collègue, j’irai témoigner à ses côtés.


Année 2006
- La Dépêche du midi du (28/09/2006)

CASTRES
Justice. Premier dossier du genre au tribunal correctionnel.
Il harcelait ses collègues
Ce fut une première pour le tribunal de Grande instance de la ville. En audience, il a examiné pour la première fois une affaire de « harcèlement moral et dégradation des conditions de travail ». Les faits reprochés se sont produits sur une période couvrant les années 2002, 2003, et 2004 au sein d’une entreprise Castraise.
Ce dossier a fait l’objet d’un long et consciencieux examen par le tribunal, durant près de trois heures. Pour la partie civile, étaient présentes les deux victimes, une comptable quinquagénaire et une assistante commerciale. Trois témoins étaient prévus, mais un n’avait pas pu se libérer. Qu’à cela ne tienne. Aux côtés d’autres, leurs auditions figuraient de toute façon dans les pages d’un volumineux dossier. A l’instar de celles des victimes d’ailleurs. « Les gens autour de moi me trouvaient changés ; j’avais des nœuds au ventre quand j’allais travailler », y indiquait ainsi l’assistante commerciale. Défendu par Maître R., le prévenu était entré dans la société en 1984 ; il en assume la gestion à compter de 1993 (suite à un dépôt de bilan). En 1998, second dépôt de bilan et reprise par les salariés. Il devient gérant de l’entreprise, jusqu’en mars 2000. Puis, en raison de problèmes personnels et familiaux graves, le gérant redevient alors « commercial ». Celui qui prend le relais, démissionne finalement quelque temps plus tard pour de sérieuses incompatibilités d’humeur : « il a des colères qu’il ne peut contrôler », dit-il. Par ailleurs entendu par les gendarmes sur le comportement du prévenu vis-à-vis des victimes, son témoignage n’est pas tendre : « il s’est acharné sur mme… toujours d’un ton très agressif, très violent. La personne tremblait, pleurait parfois ».
VERITABLE PREDATEUR
« Ce monsieur a démissionné parce qu’il rachetait une autre société deux jours plus tard, explique le cadre (depuis lui aussi licencié). Je sers de bouc émissaire. J’ai voulu régler des problèmes en interne. Je reconnais que j’ai été très exigeant ; je me suis investi énormément dans le travail ; c’était une sorte d’exutoire. »
Agacé, le Ministère public lui lancera : « vous nous avez beaucoup parlé de vous… que de vous ! » « Est-ce que vous avez conscience du pourquoi vous êtes là ? », ajoute le président. « Laissez de côté gestionnaire, au moins le temps de l’audience, le gestionnaire, pour s’intéresser au côté humain », insiste le procureur. « Invivable, ingérable, insupportable », sont les qualificatifs utilisés par les témoignages des salariés de l’entreprise. D’autres passages sont du même acabit : « ne sachant pas dissocier sa vie privée et sa vie professionnelle » ; « tendance à péter les plombs » ; « quand il se met sur quelqu’un, il ne le lâche plus ». « Si par ma façon d’être j’ai pu la rendre malheureuse ou malade, j’en suis le premier désolé, mais jamais ce ne fut intentionnel », indique le concerné.
« Le substitut a bien traité ce dossier dans ses détails, avec un sens aigu des psychologies, note l’avocate des victimes, Me Judith Almaric-Zermati. Cet homme s’est comporté comme un véritable prédateur. Sa stratégie reste classique : il s’inscrit dans le déni ou se pose, lui, comme victime d’une machination de cette équipe de femmes ». La défense a plaidé la relaxe au motif de la prescription des faits. « D’autres parties du code pénal permettent de sanctionner le comportement de l’agresseur, affirme l’avocate. La plus âgée a subi une véritable dépersonnalisation. La reconnaissance du statut de victime serait déjà énorme pour elle ».
Le Ministère public a laissé la condamnation à l’appréciation des magistrats. La décision a été mise en délibéré au 19 octobre.
Serge BOULBES



Année 2005

Esprit Femme (11/2005)
Quand c’est l’enfer au boulot
Humiliées, dévalorisées, discréditées, brimées et parfois même insultées… Ces femmes ont subi ou supportent encore les foudres d’un supérieur tyrannique ou les avances de collègues pervers. Victimes de harcèlement moral ou sexuel, elles témoignent courageusement à visage découvert, parce qu’aujourd’hui, elles ont compris : ce n’est pas à elles d’avoir honte !
Basculer du statut d’employé modèle à celui de vilain petit canard de l’entreprise ne tien parfois qu’à un changement de direction, un petit désaccord ou une tête qui ne revient pas… Il suffit d’un supérieur caractériel ou d’un collègue sadique pour que tout dégénère. L’entreprise devient alors le lieu d’une torture en bonne et due forme où le bourreau agit en toute impunité. Fort de son statut hiérarchique ou soutenu par une direction complice, il sait que personne n’osera prendre le parti de sa victime, au risque d’être harcelé et « placardisé » à son tour. Il peut donc s’en donner à cœur joie !!
Sa proie, elle, met souvent des mois à prendre conscience de son harcèlement, convaincue de sa culpabilité et de son incompétence. C’est là tout l’art de la manipulation et du conditionnement… La plupart finissent par démissionner ou demander leur mutation, à bout de force. Certaines réagissent et portent l’affaire devant les Prud’hommes. Toutes auront besoin d’années de psychothérapie pour se reconstruire et se réconcilier avec le monde du travail.
Hélène, 43 ans
Sa popularité au sen d’un établissement scolaire lui a coûté cher.
« J’avais effectué quelques années auparavant un Contrat Emploi Solidarité dans cet établissement, et j’ai eu la possibilité d’y retravailler. L’ensemble de l’équipe était ravi de me voir. Seule ma supérieure hiérarchique, nouvellement mutée, a semblé contrariée par mon arrivée. Elle me mit très vite des bâtons dans les roues : esprit de contradiction permanent, reproches infondés, réflexions humiliantes et autres coups bas ont constitué pendant trois ans mon quotidien.
A mes sollicitations, le directeur répliqua qu’il ne voulait pas faire de vagues et finit même par prendre le parti de mon « bourreau » dans l’espoir que je demande ma mutation. Des apports injustifiés et diffamants me sont remis. Mais je me refuse à partir avec un dossier qui me marque au fer rouge.
Janvier 2000 : je suis isolée dans un bureau du premier étage. Je craque une première fois et suis arrêtée par un psychiatre pendant deux mois.
S’ensuivent une tentative de suicide et des périodes d’anorexie. Un peu remise et soutenue par des collègues, je décide de reprendre mes fonctions, mais je m’effondre de nouveau. Après un troisième malaise, je ne remettrai plus les pieds dans cet établissement. Je décide de déposer une requête au tribunal administratif pour obtenir le retrait des propos diffamatoires inscrits dans mon dossier. Malheureusement, en février 2005, je suis déboutée…
Aujourd’hui, j’ai réussi à me reconstruire grâce à une longue psychothérapie, et je travaille dans un centre administratif où je suis parfaitement intégrée et respectée. »
Jackie, 50 ans
Aide-soignante dans une maison de retraite, elle dénonce les maltraitance.
« Lettres recommandées injustifiées, menaces de morts anonymes, coups de téléphone intimidants, mise à pied de trois mois…
Tel a été mon quotidien pendant six années. J’étais aide-soignante depuis un an dans une maison de retraite lorsque mon cauchemar a commencé. J’avais constaté des maltraitances sur les personnes âgées et les avais immédiatement signalées à mes supérieurs. La directrice et cinq employés, certainement impliqués, ont alors déployé tous leurs efforts afin de me faire taire et, surtout, de me pousser à la démission. Un scénario abracadabrant pour m’effrayer : me suivre lors de mes gardes de nuit et faire claquer les portes derrière moi comme dans un mauvais film d’horreur…
Mais je n’ai jamais cédé à ces pressions. J’ai fait de nombreux courriers à l’inspection du travail, au conseil général et autres instances… Et la directrice a finalement été mutée.
J’ai soufflé un an grâce à un directeur et soucieux du bien-être des résidents, même si mes cinq bourreaux toujours présents continuaient leur harcèlement. Et puis un troisième directeur a été nommé et les dysfonctionnements ont repris de plus belle ! Fait le plus grave : des médicaments étaient régulièrement subtilisés de manière à m’accuser de ne pas faire mon travail correctement, mettant ainsi la vie des personnes âgées en danger. J’ai dénoncé ces faits à la justice et, bizarrement, j’ai vite reçu une lettre de licenciement, d’ailleurs qualifié « d’abusif », il a peu aux Prud’hommes. Aujourd’hui, je poursuis la procédure dans l’espoir de faire reconnaître mon harcèlement. Même si cette bataille a été douloureuse, je n’ai pas perdu mon intégrité, ce qui est le plus important. »
Marie-Claude, 52 ans
Reléguée au sous-sol, elle souffre de son isolement, mais refuse de baisser les bras. Démissionner serait leur donner raison.
« Depuis trois ans déjà, je suis isolée dans un sous-sol sombre qui servait jusque-là de débarras… J’ai pourtant travaillé pendant quinze ans pour cette collectivité locale dans une ambiance sereine et cordiale. Jusqu’au changement de direction… Ma nouvelle supérieure hiérarchique prend alors en grippe l’un de mes collègues à temps partiel et décide, pour lui nuire, de calculer désormais la prime annuelle au prorata du nombre d’heures effectuées. Moi-même à mi-temps, je réagis et le pousse à porter plainte avec moi au Tribunal administratif. Nous gagnons…
C’et là que mon supplice commence : congés accordés sous certaines conditions, notation moins bonne, titillements au quotidien.
Je prends sur moi. Et, puis très vite, le conflit prend une nouvelle tournure. Lors d’une promotion, on m’accuse d’avoir falsifié la signature du directeur ! Me voilà assignés au Conseil de discipline, qui me donne finalement raison. La direction me met tout de même à pied, en demi traitement, et me rétrograde ! Ils pensent ainsi me décourager et me pousser à la démission, mais je saisis le Tribunal administratif en référé. Résultat ? Je gagne de nouveau.
Cela ne les freine pas pour autant : je suis certes réembauchée, mais installée au niveau 1 au milieu des scooters et des vieux panneaux d’affichage, avec une nouvelle fonction : gérer les archives !
Interdiction pour mes collègues de descendre, sous prétexte de confidentialité. Là, je suis à bout. J’entame à ce moment là des procédures – neuf au total – pour lutter contre cette injustice criante et d’autres coups bas. Je gagne systématiquement. Et cependant, aussi incroyable que cela puisse paraître, je suis aujourd’hui toujours isolée dans ce sous-sol, la direction ne tenant absolument pas compte des décisions de justice.
Quelques collègues sont heureusement restés neutres dans cette histoire, mais la majorité a pris le parti de la direction, souvent par peur des représailles…
Certes, faire le vide autour de moi est un bon moyen de pression, mais même si j’en souffre énormément, je refuse de baisser les bras. Démissionner leur ferait trop plaisir. Ce serait leur donner raison.
Soutenue par une association, j’espère voir la fin de ce cauchemar dans les mois qui viennent. D’ailleurs à ce titre, j’ai lancé une procédure pour harcèlement avec de nombreuses preuves à l’appui. »
C. BLAIZE et L. MARESCAUX

Année 2004

Le Nouvel Observateur (12/05/2004)
Harcèlement moral : pourquoi c’est pire qu’avant ! (Une enquête de Marie MULLER)
La loi du janvier 2002 aurait dû juguler l’inquiétante épidémie de harcèlement au travail.
C’est le contraire qui se produit : les tribunaux croulent sous les plaintes abusives, les directions d’entreprise se raidissent et pendant ce temps encore plus isolés, encore plus fragiles, encore plus nombreux, les vrais harcelés craquent.
C’est une histoire tragique, mais trop mince pour intéresser les journaux.
Un soir, un cadre du BTP âgé de 39 ans n’est pas rentré chez lui. Son épouse s’est inquiétée, elle l’a cherché sur le chemin de son entreprise, pensant à une panne ou une crevaison. Elle a fini par le trouver au détour d’un sentier, dans un bois.
Le cadre gisait dans sa voiture, le canon d’un fusil de chasse dans la bouche. Mort.
C’était quelques jours avant Noël et l’homme dynamique, très bons résultats, très apprécié de son équipe, avait eu une promotion peu de temps auparavant. Son directeur lui avait proposé de prendre la place du directeur adjoint, M. Marcel, bientôt en retraite. « Je lui en ai parlé, c’est un ami, il est ravi », avait dit le directeur. Flatté, le nouveau promu avait redoublé d’ardeur, s’était défoncé comme jamais.
Un matin, en arrivant à son bureau, il avait trouvé M. Marcel installé à sa place, occupé à distribuer les tâches et à « reprendre en main ses équipes ». Surpris, le cadre s’était précipité chez le directeur qui s’était contenté d’un « Oui, euh, il faut être patient. Il a du mal à rompre ».
Six mois s’étaient passés ainsi. Le cadre se tuant à la tâche, M. Marcelintervenant sans cesse et continuant apparemment à « diriger ». D’où un conflit latent de plus en plus proche, acerbe.
Evidemment, les équipes, n’y comprenant plus rien, s’étaient prudemment rangés du côté de l’autorité officielle.
Un jour, le cadre décide de crever l’abcès, demande une confrontation dans le bureau du directeur. Accablé d’insultes et de mépris, le malheureux comprend brutalement que le patron et son ami se sont simplement entendus sur son dos pour lui confier tout le sale boulot (restructuration, gains de productivité, etc…) pendant des mois à la place d’un M. Marcelnullement décidé à céder la place.
Le ton monte dans le bureau du directeur. « Si t’es pas content, dégage ! », lâche ce dernier. Choqué, le cadre sort en claquant la porte, se rue dans sa voiture. On ne le reverra plus vivant.
Des histoires comme celle-là, Loïc SCOARNEC pourrait en raconter des dizaines. Sans jamais s’y habituer. Loïc est un Breton têtu. Cet ancien syndicaliste a aussi été un employé placardisé pendant des années. Il est devenu une sorte de « Monsieur Propre » du harcèlement moral. Il a crééel’association HMS (Harcèlement Moral Stop) et l’a installée dans son pavillon tout proche de l’aéroport d’Orly (1). Sous les toits les dossiers s’amoncellent. L’association ne perçoit aucune subvention, ce qui ne nuit en rien à son efficacité.
Loïc a gardé de sa propre expérience une solide connaissance du droit du travail, il a décidé de se battre pour les autres avec ses armes : la loi et la justice, tout simplement.
En bonne logique, pourtant, depuis l’entrée en vigueur de la loi contre leharcèlement moral au travail (HMT) de janvier 2002, l’association HMS devrait péricliter. C’est l’inverse qui se produit. Comme si le texte n’avait rien réglé, bien au contraire. Selon nombre d’experts, il n’a fait que complexifier la question, contribuer à l’encombrement des tribunaux et paradoxalement noyer la gravité et l’expansion continue du phénomèneHMT sous une vague de plaintes de vrais faux harcelés, de recours en justice fallacieux et de faux procès pour harcèlement donnant lieu à de vraies lourdes indemnisations financières. Il a traumatisé les directions d’entreprise, provoqué en retour la naissance de stratégies de management plus perverses encore et, du même coup, il a étouffé un peu plus la souffrance des véritables victimes.
« Ce qui me révolte dans l’histoire de ce cadre en BTP, s’emporte Loïc SCOARNEC, c’est que sa femme n’a eu droit à rien. Parce qu’il s’est suicidé un peu à l’écart de son trajet domicile-travail. S’il avait mis fin à ses jours à son bureau ou sur cette route, la justice aurait admis l’accident du travail. C’est la loi. Mais là…rien ! »
Le nombre d’accidents du travail, en hausse sensible depuis dix ans, cache aux yeux de nombreux spécialistes des centaines de suicides liés au harcèlement. L’association HMS, qui procède pourtant à un tri sévère dans les affaires dont elle accepte de s’occuper, recense à elle seule, plusieurs suicides au travail chaque semaine. Et depuis deux ou trois ans, elle note que la situation s’aggrave nettement.
Lors des récentes Journées internationales de Prévention du Suicide tenues à Paris en février 2002, Christian LAROSE, le président de la section travail du Conseil économique et social, a présenté un rapport alarmant sur la hausse des suicides liés au travail. « Ce n’est pas un phénomène nouveau, a-t-il précisé. Mais il s’est accentué ces dernières années. Le désespoir des salariés victimes de restructurations, de licenciements et de harcèlement moral les pousse à des réactions brutales ».
Et même si toutes les victimes de harcèlement ne recourent pas à ces extrémités, heureusement, même si l’expression harcèlement moral est désormais employée à toute les sauces, même si une flopée de juristes, de conseils, de thérapeutes ou de relaxologues de tout poil en ont fait un marché juteux, ce phénomène, identifié par le Docteur Christophe DEJOURS (professeur au CNAM) en 1997 puis nommé par la sociologueMarie-France HIRIGOYEN en 1998, est loin de diminuer. Il a simplement changé de costume, devenant plus insidieux, plus caché et plus nocif.« Nous sommes un observatoire social à nous tout seuls, dit encore Loïc SCOARNEC. Et je vous affirme que le harcèlement n’est pas en régression. Bien au contraire. »
Il suffit de se plonger dans ses dossiers, de lire son courrier, d’écouter les témoignages qu’il reçoit au téléphone. Ce qui frappe d’abord, c’est la solitude terrible de tous les harcelés, de leurs pauvres mots maladroits pour décrire des situations choquantes. Extraits de lettres : « Je tremblais de peur, il m’a saisie à la gorge, il a serré en hurlant « Salope ! J’aurai ta peau. » C’était le soir. Il m’avait obligée à rester pour finir la compta. Personne ne m’a crue. » Suivent des pages et des pages de preuves de détournement de fonds dans un affaire de fusion d’entreprise. Une autre dit : « M.E. nous oblige à recongeler plusieurs fois des aliments décongelés. Nous sommes conscients des risques d’intoxication et j’essaie de prévenir discrètement les clients. Mais E. s’est vengé. Il a raconté à mes collègues que X était mon amant… Puis il m’a jetée par terre. Les hématomes n’ont pas été une preuve suffisante. J’ai perdu aux prud’hommes… » Une autre encore : « Devenue témoin gênant d’une affaire de mœurs concernant des enfants, je me suis retrouvée dans une spirale sans fin de menaces… »
On découvre aussi l’histoire de Mme M., employée de mairie, qui a travaillé dix-neuf ans pour le maire de Saint C. Pots, vins d’honneur, déjeuners, ménages. Sans un seul jour de congé. Du matin au soir, et parfois une bonne partie de la nuit, la samedi comme le dimanche, Mme M. travaillait pour le compte de monsieur le maire. Sans jamais oser se plaindre. L’édile la menaçait de lui appliquer un rappel de loyers de dix-neuf années pour son modeste deux-pièces…, ou simplement de la faire expulser.
Deux remarques : dans ces derniers exemples, les victimes sont des femmes et les bourreaux des hommes. Il ne faudrait pas en conclure que l’inverse n’existe pas, au contraire. Les femmes peuvent se révéler, elles aussi, d’impitoyables harceleuses et, si elles ont moins souvent citées dans les cas de harcèlement, c’est simplement qu’elles sont cinq fois moins nombreuses que les hommes à occuper des postes de responsabilités dans les entreprises.
Seconde remarque : il conviendrait d’utiliser plus souvent le mot « proie »que le mot « victime », qui est ambigu. Il sous-entend dans le sens commun des personnalités faibles, plaintives, timides, qui « s’écrasent » en somme. Ou qu’on s’écrase. Ce faisant, il gomme la nature du harcèlement moral au travail et contribue un peu plus à son incompréhension. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’un rapport de force, même déséquilibré, qui mettrait en présence un chef tyrannique et des subordonnés stressés. Cela va bien au-delà. Il s’agit d’une stratégie sournoise et complexe, rusée, habile, pleine de pièges, de mensonges, de rumeurs savamment distillées, d’erreurs provoquées, d’ordres contradictoires, de directives floues et d’humiliations publiques et continues. Ici la perversité est reine et l’objectif est de déstabiliser un salarié, de l’empêcher de mener sa tâche à bien, de le faire douter de lui-même au point de le faire craquer. « C’est de la corrida », commente le témoin impuissant. De la mise à mort programmée. Surcharge de travail plus rumeurs sur la vie privée plus insultes sans témoins plus incidents divers pour miner le moral (vol des affaires ; traficotage de l’ordi, de la voiture ; changement de bureau ; appels tard le soir ou tôt le week-end au domicile pour exiger un travail urgent…). La liste est très longues, toujours fondée sur la double contrainte (soyez ici et là-bas en même temps), et l’attitude paradoxale (insultes prononcées d’une voix douce avec le sourire, dans un bureau vitré). Les esprits pervers y rajouteront des raffinements de leur cru, mais l’effet est garanti : au bout de six mois de ce traitement, le gaillard le plus équilibré ne sait plus où il habite. AU sens propre du terme, souvent. Des cadres se sont rendus compte qu’ils étaient harcelés le jour où ils n’arrivaient plus à retrouver le chemin du bureau…
Stratégie d’autant plus efficace que le harcelés sont systématiquement isolés, coupés du groupe et renvoyés à une responsabilité personnelle qui permet vite de les enfermer dans une « dépression » réelle ou apparente. Mais la grande différence avec une déprime ordinaire, c’est qu’on se trouve en présence d’une agression extérieure d’une violence inouïe. Celle-ci provoque un stress post-traumatique que ne peuvent guère soigner psychologues et psychanalystes et qui déroute souvent les médecins, tentés de prescrire un anxiolytique et de passer à autre chose.Christophe DEJOURS, le professeur du CNAM, le répète avec force :« L’intervention de psychanalystes écarte la mise en discussion de ce qui, dans l’organisation du travail elle-même, est en cause dans le déclenchement de cette violence. Dans bien des cas, ce qui provoque l’agression ne vient pas du tout des maladresses des salariés victimes, mais des tâches qu’ils assument ».
Or si les hiérarchies, prévenues, prenaient leurs responsabilités et condamnaient fermement ces agissements sadiques, cela cesserait immédiatement, estiment psys, médecins du travail ou associations confrontés au phénomène. Mais la plupart du temps, un harcèlement dissimule les coulisses de l’organisation du travail. Quand sévi une hiérarchie incompétente ou corrompue, quand menace un « plan social »rampant, le HMT est mis en scène, avec une perversité calculée (2), par des responsables de direction pour se débarrasser de cadres trop compétents, trop brillants, trop bien payés aux yeux de la direction et, de ce fait, impossibles à licencier.
A moins de recourir aux licenciements pour faute, en hausse sensible selon les magistrats du travail.
Des conseillers prud’homaux CGT du Loiret, du Finistère, du Var comme de l’Hérault s’inquiétaient récemment d’une nouvelle tendance, au sein des PME locales, consistant à harceler les salariés pour les pousser à la faute et s’en débarrasser sans préavis ni indemnités.
« Ce qui m’a profondément marqué, soupire Loïc SCOARNEC, c’est de découvrir le comportement des employeurs et des collègues. On dirait que, pour beaucoup d’entre eux, l’être humain ne signifie rien. La vie d’un homme ne représente rien. Il y a une véritable « fascisation » des esprits qui se met en place depuis quelque temps dans certaines entreprises. Très peu de gens ont la trempe de résister. Et en général ce sont ceux-là qui se font harceler. »

Le grand flip des cadres
Un quart d’entre eux se disent harcelés moralement
Les pressions sur les cadres montent régulièrement depuis une dizaine d’années. Elles deviennent si fortes que les syndicats s’en alarment. Une étude de la CFE-CGC publiée le mois dernier conduit à ce constat inquiétant : les cadres sont au bout du rouleau. 81% des personnes interrogées se disent soumises à des charges de travail trop lourdes. Les mêmes estiment que les objectifs fixés par la direction sont irréalistes. 51% n’ont pas assez de temps pour accomplir leur mission. Le rythme d’exécution des tâches - pour 79% des sondés - s’accélère sans cesse.
Les cadres se sentent à 67% tendus, crispés, à cause de leurs emploi du temps surchargés. Pour lutter contre le stress, 18% fument, 14% prennent des anxiolytiques. 10% vont voir un psy. L’enquête ne précise pas le nombre de ceux qui ont recours à l’alcool.
50% n’arrivent plus à concilier vies personnelle et professionnelle. Les fêtes de famille, mariages, baptêmes sont souvent décommandés pour cause d’heures supplémentaires. La loi sur les 35 heures a été pervertie. Au lieu d’inciter les entreprises à embaucher davantage, elle leur a donné argument pour augmenter le rythme et réduire drastiquement les moindres moments de détente. Dans beaucoup de grosses boîtes, fières de leur« culture d’entreprise », les cadres ne communiquent plus que par mails et n’ont plus du tout le temps d’échanger trois mots. Beaucoup sont rivés à leurs ordinateurs comme des otaku, ces Japonais dingues de jeux virtuels, qui ne quittent plus leur écran.
La pratique de gestion électronique globale des agendas personnels se généralise, les rendez vous se glissent dans les moindres temps morts, sans aucune consultation. Mot d’un commercial, contraint par son patron d’accepter la surveillance électronique de ses déplacements (puce dans la voiture) : « Je n’osais plus faire pipi, parce qu’il allait se demander ce que je faisais là, stoppé, en pleine cambrousse. ». Celui-là a fini par démissionner au bout d’un mois. Il n’a toujours pas retrouvé de travail et se dit : « J’aurais peut-être dû m’écraser. »
24% des cadres se disent harcelés moralement. En anglais le mot harcèlement se dit « harassment ». C’est la même racine que le mot français « harassant »

Deux suicides au conseil général de la Vienne
Ils travaillaient dans le même service, sous les ordres du même chef, ils ont mis fin à leurs jours à deux mois d’intervalle. Affaire classée ? Pas sûr
Une campagne de France profonde. Petites routes arborées, vieux châteaux, quelque chose de pluvieux, de nostalgique et de saccagé à la fois, lorsque surgit soudain une zone commerciale. La maisn de B. donne sur le cimetière ? Derrière la modeste bâtisse, le jardin est abandonné depuis deux ans, B. n’y met plus les pieds, il laisse mourir ses roses. P., sa femme s’est jetée dans le puits, là, à côté des rosiers. Elle est enterrée ici, juste en face de la fenêtre du séjour.
B. : Je ne sais plus si c’est triste ou si c’est bien. Elle est là tout près.
Comme tous ceux qui n’ont plus rien à perdre, B. est un homme libre. Aucun cadeau, aucune consolation, aucune menace ne peuvent plus le retenir. C’est pourquoi l’histoire de P. n’a pas été étouffée.
Car cela fait quand même deux ans que l’on piétine. Que rien ne sort, que rien ne bouge. Que la plainte pour harcèlement moral a été déposée, en vain, chez le doyen des juges d’instruction de poitiers. Que le chef de service de P. est toujours en place. Or P. n’était pas seule dans son cas.
Mr et Mme D. ont perdu H., leur fils unique… Suicide, lui aussi, quelques semaines après P.. H., 30 ans, travaillait dans le même service qu’elle. Dans le même bureau. Sous les ordres du même chef, Mr. C., qui porte fièrement son titre de directeur de service au conseil général de la Vienne.
Une coïncidence malheureuse, certainement. Sauf qu’en se renseignant on apprend que l’ambiance demeure effroyable dans ce service. Que les collègues de P. ont peur de témoigner. Que leur chef les a menacés de« s’occuper de leur cas un par un » lorsqu’ils ont commencé de se confier à une psychologue…
Démonter le mécanisme d’une affaire de harcèlement n’est jamais simple. C’est comme vouloir résumer une pièce de théâtre shakespearienne qui serait jouée dans un labyrinthe de miroirs. Le conseil général de Poitiers est un bâtiment laid, époque Giscard tardif, accolé aux bâtiments plus anciens de la préfecture. C’est un endroit que P. voulait fuir, ce jour maudit, quand elle s’est jetée dans le puits.
C’est là qu’H. a passé sa dernière soirée avant de s’évanouir dans l’obscurité, discrètement, sans vouloir faire de la peine à ses parents.
Mais revenons en arrière et déroulons le fil.
Une place au conseil général, ça peut faire rêver au temps du chômage-Damoclès. Emploi garanti, primes, avantages, crédits assurés. Quand H. a décroché ce poste à 26 ans, ses parents ont dit « ouf ». Et pendant quatre ans ils ont été fiers de lui. Peut de temps avant son suicide, ils l’avaient bien senti un peu stressé par son travail, mais surtout préoccupé par ce que subissait P., sa collègue plus âgée. « Il disait que Monsieur C. était horrible avec elle. Ca le rendait malade. » H. était un informaticien de talent. Il s’occupait en particulier du parc d’ordinateurs des écoles. P. gérait, entre autres, des dossiers comptables. Elle avait vite adopté ce jeune collègue plein de bonne volonté. Leurs bureaux se faisaient face. Elle plaignait H., parce que Monsieur C. le contraignait à travailler énormément en heures sup. sans compensation. Elle en parlait à son mari, B. Elle lui confiait aussi son trouble à propos de son propre travail.
« Elle me disait : je ne comprends pas ce qui se passe. Il me fait faire des choses qui ne sont pas de mon domaine ».
Elle devenait anxieuse, perplexe. Pourtant elle l’adorait, ce travail. Elle avait bossé 27 ans dans une boîte privée qui avait été délocalisée. « Le conseil général, pour nous, c’était carré, rigoureux, sécurisant ». Sauf qu’il y avait Monsieur C., qui soudain l’insultait, la traitait de « grosse nulle »« Il lui parlait comme à un chien », disait H., qui en était très affecté. Il le racontait à tous ses amis, troublé par le comportement« bizarre et inhumain » de Monsieur C. Est parce que P. avait vu passer des factures, des notes de frais de voyages « éducatifs » que certains fonctionnaires faisaient régulièrement au Burkina ? C’était toujours la même joyeuse bande d’hommes, dont Monsieur C. et son ami le sénateur S. Car le conseil général de la Vienne a une direction des affaires européennes très soucieuse de la coopération avec Ouagadougou. P. voyait aussi passer de tendres mails de remerciements, ce côté chaleureux de l’Afrique…
Elle aura travaillé deux ans sous les ordres de Monsieur C. Et puis, le 17 septembre 2002, elle a commis l’irréparable. Ce jour-là, nerveuse, tendue, désespérée, elle avoue à son mari : « Je n’ose pas l’affronter… »Stupéfait, inquiet, B. la supplie de demander un arrêt de travail à son médecin. Mais P. doit avertir son chef. « La conversation a duré vingt minutes », affirme Monsieur C. « Trois minutes quarante », précise France Télécom. Que lui a-t-il dit en si peu de temps ? En tout cas la comptable craque. Patricia avale des médicaments et se jette dans la citerne…
Deux mois plus tard, H. choisit à son tour le pire. Un soir de novembre, l’informaticien vient dîner chez ses parents. Puis il retourne à son bureau. Pour travailler. A cette heure là ? Il le fallait bien. Très souvent, le jeune homme servait de chauffeur officieux à Monsieur C. lors de ses nombreux déplacements, d’inaugurations en réunions, de banquets en amicales. Les conseil généraux sont devenus des petits royaume des la République. Monsieur D : Le soir, Hervé ramenait la voiture de fonction au bureau et travaillait très tard. Il avait les clés. On avait confiance en lui. » Les harceleurs s’en prennent toujours à des personnes honnêtes, compétentes, « bien élevées », pas névrosées.
Cette nuit-là, H. envoie un mail à l’une de ses collègues. Depuis, celles-ci a subi des pressions et refuse de parler. Dans son mail, le jeune homme raconte d’un ton léger les potins du service. Mais il conclut par un étrange P.-S. « S’il m’arrivait malheur, fais en sorte que C. et M. (un ingénieur en chef, ami de C.) terminent leur carrière en prison. Et insiste pour que A. prenne un congé maladie. »
M. D. : « A 23h08, il a éteint son ordinateur. Il a écrasé tous ses fichiers et il est parti. » H. repasse devant le pavillon de ses parents, il glisse un mot dans la boîte aux lettres et s’en va dans la nuit se noyer dans la rivière. Le lendemain, sa mère s’étonne de découvrir une lettre de son fils dans le courier. Nous sommes le 20 novembre 2002. Le corps d’H. sera retrouvé à Noël.
Le 16 janvier 2003, un événement secoue le conseil général. Tous les collègues d’H. et de P. envoient une note alarmiste au président du conseil général, René Monory. « Nous, écrivent-ils, employés de tous grades de la direction X, venons vers vous pour vous confirmer les graves difficultés que nous rencontrons dans notre vie professionnelle… Brimades… comportements excessifs et disproportionnés… Depuis de nombreuses années, les agents de cette direction subissent une forte pression de la part de leur supérieur hiérarchique direct… «  Ils ajoutent : « Confrontés à cela, certains ont demandé leur mutation. D’autres tentent de résister, dans le silence, mais jamais dans l’indifférence, et encore moins depuis le départ dramatique de nos deux collègues. »
Au moment où les deux suicides font le une de « la Nouvelle République », M. C, directeur général des services et supérieur de Monsieur C., décide de recourir aux services d’une psychologue du cabinet K., de Nantes, spécialisé dans « l’assistance en milieu professionnel ».Les supérieurs de Monsieur C. pouvaient difficilement plaider l’ignorance. A plusieurs reprises, déjà, ils avaient été alertés. Par la CFDT notamment, à propos de deus affaires de harcèlement en cours dans le service de Monsieur C. visant deux collègues de P. et H. « Ca va mal se terminer. Quelque chose ne va pas du tout dans cette équipe », expliquent les syndicalistes à la direction. En juillet 2002, une « lettre ouverte aux élus du conseil régional », aussi précise que détaillée, apparaît comme une tentative désespérée de faire bouger enfin la hiérarchie. Nous sommes deux mois avant la mort de P. Commentaire des syndicalistes : «  Les personnels aimeraient bien que nous nous battions à leur place. Ils n’osent pas venir à nos réunions… »
C’est alors que ressurgit le souvenir de deux autres suicides de fonctionnaires du conseil général, tous deux employés de l’équipement, survenus cinq ans plus tôt. L’un s’est tué sur son lieu de travail, l’autre sur le trajet.
Cette administration se signale aussi par un nombre étonnant de« dépressions »« déclarations d’inaptitudes »« demandes de mutation »… Avant l’arrivée de P., une femme de son service avait fait une tentative de suicide au retour d’un congé de maternité.
Les psychiatres spécialistes de la perversion ont noté que les harceleurs agressent volontiers les femmes enceintes ou jeunes accouchées. Autre incident : Mme de H., l’ancienne assistante de Monsieur C., en profonde dépression, a démissionné et quitté la région. Elle aussi refuse de parler.
D’ailleurs plus aucun employé du service n’ose témoigner. Monsieur C. leur a promis de les « casser » s’ils le faisaient. B. F. :« Ils ont des situations à protéger, des familles… » « J’ai fais mon devoir, assure M. C, belle vois grave de haut fonctionnaire élégant. J’ai vu les personnels. J’ai constaté que le climat était redevenu serein. J’ai fais part de mon exigence d’un fonctionnement et de relations différents… La justice n’a pas établi de liens… »
Effectivement, le parquet de Poitiers, sur la base des enquêtes préliminaires, a classé l’affaire. Les familles de P. et H. avaient porté plainte pour « harcèlement moral »
Monsieur C. a gardé son poste. En mai 2003, contrairement à ses attentes, il n’a pas été promu. « Mais cela n’est absolument pas lié aux deux événements dramatiques », précise Monsieur C. qui vient d’être nommé à la direction du « Journal officiel » à Paris. De son côté,Monsieur C. se dit « détruit » par cette affaire.
Les F. et les D. ont décidé de changer d’avocats, de faire appel aux services d’un défenseur parisien et de joindre leurs deux dossiers. Le 20 avril 2004, le juge L. a reçu la marie de P. et les parents d’H. Le magistrat semble décidé à reprendre l’enquête à zéro.
Marie MULLER

Année 2003

- Top santé ( 11/2003 )
J'ai été harcelée moralement.
Des mots blessants, une charge de travail abusive, une manipulation qui détruit à petit feu... Durant vingt ans, Nathalie a été harcelée moralement. À 55 ans, elle a gagné son procès et tente désormais de se reconstruire.
"Le suicide m'est apparu comme l'ultime solution pour échapper à l'enfer que je vivais à mon travail. J'étais à bout de force, écrasée par tant d'injustices que je n'ai pensé ni à mes trois enfants, ni à mon mari. Heureusement, il est pompier volontaire et il m'a trouvée à temps. C'était en octobre 1957". Pourtant, lorsque Nathalie entre dans cette multinationale comme télexiste en 1950, elle est appréciée de tous. On la choisit d'ailleurs pour remplacer pendant plusieurs mois une secrétaire malade.
Mon travail est sans cesse critiqué !
"C'est à son retour que mes soucis commencent, car on continue a me surcharger de tâches de secrétariat, en plus de mon travail. Sans que je comprenne pourquoi, l'ambiance se dégrade peu à peu. Comme j'ignore tout du harcèlement moral, je demande à être mutée sur un autre site. Mes requêtes sont rejetées, jusqu'au jour où l'on me propose un poste de standardiste à trois heures aller-retour de chez moi : Un remplacement de six mois avant d'avoir un poste plus près, me promet-on". À peine arrivée, on exige d'elle des tâches impossibles, comme tenir à la fois le standard au quatrième étage et gérer les télex au rez-de-chaussée. Son travail est systématiquement critiqué. Quant au délai de six mois, il n'en est plus question. La jeune femme souffre de plus en plus d'être mal aimée et fait des cauchemars. Elle n'en souffle mot à personne et à la maison tente de faire illusion. Jusqu'à sa tentative de suicide... Le temps de se remettre. Nathalie part en formation : BTS secrétariat commercial et comptabilité, puis revient dans l'entreprise comme assistante de gestion."J'ai toujours trois heures de trajet, mais mon nouveau chef est charmant et je travaille sereinement. Aussi, à sa demande, je quitte le syndicat auquel j'adhérais. Je réalise aussi que c'était certainement une des raisons de mon malheur. J'étais à Lille, la bête noire à éliminer. Ce que confirme l'arrivée d'un nouveau responsable, expert en humiliation".
J'en arrive à penser que je ne vaux rien !
"En effet, tandis que les autres secrétaires ne travaillent jamais pour plus de huit personnes, j'en assiste dix-huit, et je ne fais jamais assez vite, ni assez bien. Étant d'origine vietnamienne, j'ai changé mon prénom Lanh pour Nathalie en épousant un Français. J'entends : Vous êtes mieux payée ici que là-bas, alors ne vous plaignez pas ! On m'impose de surcroît des tâches d'entretien, comme nettoyer les ateliers poussiéreux ou ramasser les vêtements sales des ingénieurs. Dans la salle de démonstration, c'est à moi d'effacer le tableau noir devant les clients, sachant que, vu ma petite taille, je dois grimper sur une chaise, y compris lorsque je suis en jupe. Sans parler du mot de passe de mon ordinateur, modifié sans m'en avertir. Résultat : pas un jour sans que je ne pleure dans les toilettes. Mes collègues ne me parlent plus. À la cantine, je déjeune seule. Par peur de perdre leur emploi, ils se sont rangés du côté de l'employeur. J'ai tant perdu confiance en moi que j'en arrive à donner raison à mes chefs, et à penser que je ne vaux vraiment rien".
Un premier pas : se défendre et résister
Nathalie doit son salut à son généraliste qui, en 2000, lui parle de harcèlement moral et d'une association de victimes (Harcèlement Moral Stop)"Quel soulagement... Dès lors, sur leurs conseils, je commence à me défendre. Je note la moindre critique, j'envoie des lettres recommandées les dénonçant, je collecte les témoignages de collègues retraités qui ne redoutent plus de s'exprimer, et je prends un avocat". Pourquoi avoir tant attendu ? "Au début, j'avais le réel espoir d'être mutée dans un autre poste, puis je redoutais d'être licenciée et de ne plus pouvoir offrir des études à mes enfants. Vers 50 ans, j'ai craint de rester au chômage jusqu'à la retraite si je partais. Au final, le tribunal des prud'hommes a reconnu le harcèlement moral et le caractère abusif du licenciement. Quant à mon arrêt maladie, il a été admis comme accident du travail".
Un an après, Nathalie se sens abîmée. Et elle ne sait pas si un jour elle retravaillera tant cela l'angoisse. Ses harceleurs hantent toujours ses nuits, bien que cela fasse trois ans qu'elle ai quitté la société. Avec son psychiatre, elle essaie d'effacer ces violences pour réparer la femme derrière l'employée bafouée. La reconnaissance juridique des faits l'y aide.
Véronique HOUGUET

Année 2000
- Dépêche AFP (17/02/2000 )
Harcèlement moral à l'hôpital de Mutzig.
Fin de la mission de l'IGAS à l'hôpital de Mutzig (Bas-Rhin)
L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a terminé mercredi soir une mission à l'hôpital de Mutzig (Bas-Rhin) dont une partie du personnel, en grève depuis 24 jours, demande le départ du directeur, a-t-on appris de source syndicale.
Pendant 4 jours, deux inspecteurs de l'IGAS ont auditionné "tous les membres du personnel qui souhaitaient expliquer le harcèlement moral, les brimades, les santions disciplinaires et le chantage qu'ils subissent de la part du directeur de l'établissement", a indiqué jeudi Françoise Geng, secrétaire nationale CGT pour les professions de santé, au cours d'une conférence de presse. Environ 30 personnes ont été entendues par les inspecteurs, une vingtaine en activité et une dizaine qui ne travaillent plus dans cet hôpital, mais tenaient toutefois à témoigner, a indiqué Mme Geng"Nous attendons maintenant une décision rapide du ministère de la Santé", a-t-elle poursuivi. Selon Mme Geng, la seule issue possible au conflit est la "révocation pure et simple" du directeur, Gilbert Contout. Les grévistes, une vingtaine d'agents sur 35 titulaires, ont menacé jeudi de durcir leur mouvement, "si le ministère tardait à prendre ses responsabilités", a ajouté Mme Geng. Ils ont déjà annoncé qu'ils bloqueraient jeudi soir la circulation dans la ville de Mutzig. Le directeur de l'établissement hospitalier, qui accueille des patients pour des moyens et longs séjours, ainsi qu'une maison de retraite, n'était pas joignable jeudi en fin de matinée.


Année 1999

Le Nouvel Observateur (21-27 janvier 1999)
Le conseil de Marie-France Hirigoyen aux victimes
"Ne pas faire le dos rond !"
L'auteur du "Harcèlement moral" appelle les partenaires sociaux à se mobiliser. Et à créer des instances de médiation pour prévenir et, si nécessaire, sanctionner.
Le Nouvel Observateur
Vous avez été surprise par le succès de votre livre ?
Marie-France Hirigoyen
Par son ampleur, bien sûr. Mais je suis psychothérapeute, et trop de patients différents me décrivaient avec les mêmes mots, les mêmes détails, un scénario identique du harcèlement moral pour qu'il puisse s'agir d'un phénomène marginal. La difficulté était de donner un nom commun à ces calvaires de telle sorte que les victimes ne se croient plus seules à les subir. C'est fait. A peine le livre sortait-il l'été dernier que j'ai été contactée par des médecins du travail, des syndicalistes, des avocats, mais aussi par des psychanalystes, qui m'ont demandé d'organiser des groupes de travail. Ce qui est en revanche vraiment surprenant, c'est que la figure du persécuteur dont je parle, le pervers narcissique, qui est un être hyperadapté à la vie sociale, est présente à peu près partout dans les films - voyez " la Prisonnière espagnole " et les romans policiers, mais presque jamais dans la littérature psychanalytique.
Le Nouvel Observateur
On a dû vous dire que vous aviez tendance à voir des pervers partout...
Marie-France Hirigoyen
Oui. Je connais aussi l'argument qui met en avant le masochisme des victimes - ça existe, bien sûr -et leur complaisance. Tout cela fut déjà utilisé par le passé pour minorer le harcèlement sexuel. Ma formation explique sans doute largement la conviction que j'ai de la gravité d'un phénomène bien plus complexe. Etudiante, j'ai en effet suivi une formation en victimologie à l'American University de Washington, où mon mémoire portait sur la " destruction morale ". En 1994, j'ai suivi en outre une formation à l'Institut médico-légal (Paris v) sur la victimologie.
Le Nouvel Observateur
Quel est le profil du harcelé ?
Marie-France Hirigoyen
On s'attendrait à ce que ce soit une personne fragile. Un souffre-douleur désigné, en quelque sorte ! Eh bien, pas du tout, les harcelés sont généralement des grandes gueules ou pour le moins de fortes personnalités. Et très fréquemment des gens qui s'investissent dans l'écoute de l'autre : des délégués du personnel, des infirmières, des médecins, des hommes de communication... La victime, c'est en fait bien souvent celui qui résiste, notamment à ses collègues, cas très fréquent, mais aussi à son supérieur hiérarchique ou encore à la pression de ses subordonnés.
Le Nouvel Observateur
Comment s'explique l'ampleur du harcèle ment moral aujourd'hui dans nombre d'entreprises, puisque les pervers narcissiques au sens littéral du terme ne se sont tout de même pas multipliés ces dernières années ?
Marie-France Hirigoyen
Ce que je crois, c'est que les pervers, les vrais, entraînent les groupes à gérer les gens à leur manière. Et, si ça prend, c'est que nous sommes dans des univers où la guerre économique est en permanence mise en avant et que la fin y justifie les moyens. On veut bien que le personnel discute, s'exprime, participe - on les sollicite même à cette prise de parole -, mais chacun sait qu'il convient de toujours se situer dans l'intérêt de la culture unanimiste d'entreprise, de la défense et de la promotion du collectif. La rentabilité et la compétitivité passent d'abord ; l'individu ne vient qu'ensuite quand il vient. La formation des cadres dirigeants incite d'autre part à ne pas avoir d'états d'âme ou de sentiments. Lorsqu'il faut licencier et que c'est délicat, la méthode du harcèlement et de l'isolement psychologiques de la cible à affaiblir ou à exclure est devenue relativement banale. Enfin il est important de noter que le pervers agit le plus souvent au nom de la morale, ce qui lui donne une position d'autorité pratiquement inexpugnable. D'autant qu'il a toujours une grande force de conviction et de séduction et qu'il sait parfaitement s'y prendre pour inverser les rôles en se présentant lui-même comme l'agressé. Vous n'imaginez pas le nombre de directeurs des relations humaines confrontés à ces situations qui vont chez des psys et ce qu'ils confient comme souffrance.
Le Nouvel Observateur
Dans les nombreux cas que vous décrivez, on est tout de même surpris par l'apathie sociale. Par l'absence de réaction des collègues.
Marie-France Hirigoyen
C'est vrai. Mais, encore une fois, le terrain est propice. Non seulement parce que la peur de perdre son emploi est très forte, mais aussi parce que l'organisation du travail compartimente de plus en plus le travail de chaque individu. Dans ce contexte du " chacun pour-soi " , il est plus aisé d'isoler la personne dont on souhaite se débarrasser. D'autant que le processus de mise à l'écart est progressif: on bloque l'accès de l'ordinateur à certaines données, on ne passe plus certains appels téléphoniques... Le silence et le vide se font donc peu à peu autour de la personne visée. Parfois, la solitude est telle que ça tourne vite au drame. Un cadre dirigeant qui avait refusé une mutation pour rester proche de son fils handicapé s'est w poussé dans un placard, interdit de réunion, pratiquement privé de téléphone. Il s'est tiré une balle.
Le Nouvel Observateur
Faut il imaginer une loi pour réprimer le harcèlement moral - avec tous les abus que l'on peut craindre, sans compter les difficultés d'établir des preuves - sur le modèle de la loi contre le harcèlement sexuel ?
Marie-France Hirigoyen
Il y a, c'est exact, risque de confondre le simple conflit et le harcèlement proprement dit. Encore que, sur les quelque cinq cents lettres que j'ai reçues suite à la parution du livre, seules quelques-unes viennent de personnes franchement paranoïaques. Ce que je crois, c'est qu'il faut en effet éviter de légiférer à froid. L'urgence, c'est d'informer les professionnels de telle manière que les victimes ne soient plus esseulées quand elles s'adressent à eux. Je pense notamment aux syndicalistes, mais aussi et surtout aux médecins du travail, qu'ils soient ou non salariés de l'entreprise. Il ne suffit pas de traiter un stress par la médication chimique, il faut aussi comprendre son origine et traiter le mal en amont. Je crois que si l'on parvient à mettre en place un système de médiation, on peut trouver des solutions autres que pénales pour arrêter le harcèlement et sanctionner fauteur en faisant valoir notamment le règlement intérieur de l'entreprise.
Le Nouvel Observateur
Quel est le conseil que vous donnez aux victimes ?
Marie-France Hirigoyen
Sortir de la nasse d'une manière ou d'une autre. Et surtout en parler. Se plier, faire le dos rond, attendre que le harcèlement passe est la pire des solutions. Si vous restez inerte, c'est votre vie familiale, votre vie tout court qui va trinquer.

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